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annonce.
Hagiopic
L’Armée du crime
réalisé par Robert Guédiguian
15 septembre 2009
On attendait beaucoup du nouveau film de Robert Guédiguian, qui depuis quelques films explore les genres avec un bonheur inégal
mais une ambition et un souci de renouvellement louables et trop rares dans le cinéma français. L’Armée du crime est hélas loin d’atteindre les hauteurs du Promeneur du Champ-de-Mars, la faute notamment à une
reconstitution étonnamment académique. Déception.
Dans la France occupée par les Allemands, un groupe
d’irréductibles communistes résiste encore et toujours à l’envahisseur. Réfugiés dans la clandestinité depuis l’interdiction de leur Parti en septembre 1939, ils chargent le poète arménien Missak
Manouchian de constituer un groupe de têtes brûlées issues de la main d’œuvre immigrée. Souvent très jeunes, les membres du « groupe Manouchian » sont juifs, hongrois, arméniens,
roumains, polonais, espagnols… Ils vont multiplier les actions d’éclats – attentats, sabotages, assassinats de soldats et d’officiers allemands – jusqu’à ce que se referme sur eux l’étau d’une
police française qui n’hésite pas à recourir à la délation et à la torture.
Un tel sujet éveille des échos très actuels dans notre monde obsédé par le spectre du terrorisme, par la peur de l’immigré, par
les questions de l’engagement individuel et collectif. Robert Guédiguian semblait le choix le plus évident pour mener à bien ce projet : fils d’un Arménien et d’une Allemande, communiste
lui-même, il ne pouvait que se reconnaître dans la figure de Manouchian, qui sacrifia son idéal de non-violence pour défendre ses convictions politiques, et qui le jour même de son exécution
écrivait dans une belle lettre adressée à sa femme Mélinée : « Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce
soit. »
La principale faiblesse du film vient justement de l’admiration manifeste (et légitime) que le cinéaste et ses co-scénaristes
Serge Le Péron et Gilles Taurand nourrissent envers le poète-combattant et les résistants qui l’entouraient. Le film insiste un peu trop sur l’évidence de leur engagement, sur leur inflexible
volonté, sur leur appétit de vivre contrastant avec les risques insensés qu’ils prennent. Trop beaux, trop nobles de caractère, ils sont figés dans une pose héroïque qui les éloigne
irrémédiablement d’un spectateur qui ne demanderait pourtant qu’à se reconnaître en eux. De leur côté, les méchants sont résolument sournois (Tregouët) ou veules (Darroussin), et le compagnon de
route qui sera amené à trahir est présenté dès sa première apparition comme antipathique et peu fiable. Le film, en ne présentant pratiquement aucune autre figure que celle de l’héroïque
résistant qui serre les dents sous la torture et celle l’abject et sadique collabo, reproduit des clichés qu’on pensait périmés depuis Le Chagrin et la pitié… Il évacue également les
questions qui fâchent : si les relations entre les membres du Groupe Manouchian et les dirigeants de la résistance communiste sont montrées comme difficiles (les premiers ayant du mal à se
plier à la discipline que souhaitent imposer les seconds), L’Armée du crime ne questionne jamais la stratégie de la résistance communiste, qui envoie en première ligne les partisans
immigrés tandis que les Français restent (relativement !) à l’abri…
La mise en scène reproduit malheureusement la faiblesse du point de vue : comme le pointait déjà Critikat dans son compte-rendu cannois (le film a été présenté en sélection officielle, hors
compétition), on n’est parfois pas bien loin du chromo et du Réalisme Soviétique... La musique d’Alexandre Desplat n’aide pas : surlignant les passages dramatiques, elle étouffe l’émotion
qu’elle s’évertue à susciter par l’abus de violons. Les plans sont comme embarrassés par le poids de la reconstitution historique ; journaux, affiches, uniformes, véhicules et boutons de
manchette, rien ne manque, sinon un souffle qui viendrait animer ce décor trop léché. L’Armée du crime est un film scolaire et illustratif, tellement appliqué à remplir son devoir de
mémoire qu’il oublie de rendre vivantes les figures qu’il panthéonise.
On ne s’attendait pas, bien sûr, à ce que Guédiguian (mal)traite la Seconde Guerre mondiale avec la désinvolture et l’inconséquence d’un Quentin Tarantino, mais on aurait aimé qu’il prenne moins de gants, et qu’il s’inspire, par exemple, des leçons de
La Bataille d’Alger. Cet
insurpassable « film de résistance », réalisé par Gillo Pontecorvo en 1966, s’attachait aux détails prosaïques, au quotidien de la clandestinité, et parvenait ainsi, sans discours
surplombant, à inscrire l’action dans un présent frémissant plutôt que de la figer sous le vernis de l’Histoire. Une seule scène de L’Armée du crime est digne de cet illustre
modèle : celle où les résistants hésitent puis renoncent à lancer une grenade dans un bordel… après l’avoir dégoupillée. Ces quelques minutes pleines d’humour et de suspense mettent en
lumière, sans lourdeur ni didactisme, les dilemmes moraux qui pèsent sur ceux qui prennent les armes au nom d’une juste cause. Elles permettent surtout, par comparaison, de mesurer l’échec d’un
film digne mais inhabité.
Sébastien Chapuys
"L'Armée du crime" : l'affiche rouge, histoires de sang et sens de l'histoire
| 15.09.09 | 16h31 • Mis à jour le 22.09.09 | 10h49
Trois semaines après le premier, un autre groupe de juifs décidés à tuer
des Allemands arrive sur les écrans. Ce n'est pas tout à fait une coïncidence que L'Armée du crime, de Robert Guédiguian, sorte vingt jours après Inglourious Basterds, de
Quentin Tarantino, après qu'ils se sont croisés au Festival de Cannes, au mois de mai.
Au moment où meurent les derniers témoins, Tarantino a estimé qu'il était temps de lever l'interdit historique qui pesait sur la
période et de jouer avec l'histoire de la seconde guerre mondiale (comme un enfant joue avec sa panoplie de cow-boy). Robert Guédiguian sait lui aussi qu'une période s'est achevée, mais, face à
la débâcle générale des idéaux ou des illusions portés par ceux qui ont combattu l'Allemagne nazie, il a voulu revenir à la source.
L'Armée du crime est la mise en scène d'un soulèvement, celui des jeunes combattants immigrés du groupe Manouchian, et
de son écrasement, à partir du souvenir laissé dans la mémoire collective (celle du mouvement communiste) et individuelle (celle de Guédiguian).
Il est difficile de voir un film dont on a suivi le tournage des jours durant, comme nous avons pu le faire pendant l'été 2008,
sans se souvenir de la manière dont le réalisateur, les acteurs et les techniciens y ont travaillé. Les intentions affirmées à l'époque (politiques, historiques, bien sûr, mais aussi esthétiques)
et la méthode (collective, empreinte d'un sérieux et d'un respect peu communs sur les plateaux) apparaissent clairement. Ce qui est à l'écran vient comme l'accomplissement d'une promesse qui, aux
yeux d'un témoin de la fabrication du film, est entièrement tenue.
La trame dramatique de L'Armée du crime aurait pu servir à Hollywood. Un type fort, intelligent et séduisant qui
recrute des comparses pour accomplir des exploits périlleux, ça a beaucoup servi.
En 1943, Missak Manouchian (Simon Abkarian), réfugié arménien, fut chargé par la direction communiste de former un groupe armé,
sous l'autorité de la Main-d'oeuvre immigrée, organisation communiste regroupant les travailleurs nés ailleurs qu'en
France.
La bande rassemblée par Manouchian comptait dans ses rangs nombres de juifs originaires d'Europe de l'Est, mais aussi des
Italiens antifascistes et des républicains espagnols. Dans ces rangs, Guédiguian a choisi quelques figures pour leur jeunesse, leur violence. Thomas Elek (Grégoire Leprince-Ringuet) et Marcel
Rayman, un lycéen doué en chimie et un ouvrier champion de natation, deviennent des tueurs. Parce que Guédiguian - l'affiche du film en témoigne - ne fait pas mystère des buts de guerre du groupe
Manouchian. Il fallait tuer des Allemands, les plus gradés possible, à défaut le plus grand nombre possible, autant pour démoraliser l'ennemi que pour montrer aux Français que la lutte armée
était possible.
C'est la première fois que l'auteur de La ville est tranquille s'essaie à un film de cette ampleur. Et la seconde
(après Le Promeneur du Champ-de-Mars, chronique des derniers jours de François Mitterrand) qu'il s'éloigne de Marseille. Mais il n'a pas posé ses bagages en chemin. Il montre l'exécution
d'officiers allemands ou un attentat à la grenade pour ce qu'ils sont, des moments de violence, de souffrance et de peur. Et quand l'exaltation saisit l'un des jeunes clandestins, elle est mise
en scène pour ce qu'elle est, une émotion ambiguë qui sert les buts assignés par le parti mais met en danger l'intégrité de celui qui se réjouit de la mort de ses ennemis.
La figure de Manouchian est là pour servir le projet politique et éthique de Guédiguian : un homme capable de tuer tout en
continuant à vivre et à aimer sa compagne Mélinée (Virginie Ledoyen). Sur l'autre rive, il y a les tristes figures des policiers français qui firent tomber le groupe.
Jean-Pierre Darroussin (qui déjà jouait le militant du Front national dans Marius et Jeannette) incarne un
fonctionnaire compétent qui succombe à la tentation que lui met sous le nez le commissaire David (Yann Tregouët), technocrate de la lutte anticommuniste.
Ce sont eux les exécutants du martyre du groupe Manouchian, tout comme Vichy se mit à la disposition des occupants pour monter
l'opération de propagande qui fit que l'affiche rouge dénonçant "l'armée du crime" fut placardée sur les murs de France.
Tout dans le film, y compris les libertés prises avec la chronologie des événements, tend à exprimer l'essence de cet
affrontement, à en dégager le sens. Les derniers films de Robert Guédiguian, et particulièrement Lady Jane (2008), mettaient en scène la désorientation, la colère face à la perte de ce
même sens, qui fut celui de l'histoire.
Alors que Ken Loach, qui montrait les mêmes interrogations dans It's a Free World (2007), s'est réfugié dans la comédie
fantaisiste de Looking for Eric, son camarade Guédiguian a remonté le temps pour retrouver une vérité perdue et la rapporter à ses contemporains.
Film français de Robert Guédiguian avec Simon Abkarian, Virginie Ledoyen, Grégoire Leprince-Ringuet,
Robinson Stévenin. (2 h 19.)
Thomas Sotinel
Article paru dans l'édition du 16.09.09